Le Havre
« Bléville, c'est la zone »
« Dès le vendredi soir, c'est l'horreur », constate avec désolation une habitante du quartier
DELINQUANCE.Le climat d'insécurité grandit dans quelques rues du quartier de Bléville. Les habitants excédés et inquiets attendent des réponses de la Ville et de la police.
Jules-Bourgogne, Points-Cardinaux, Sous-Bretonne, Maurice-Genevoix, les façades des immeubles sont propres. Pas de trace de vandalisme. Presque midi, les parents viennent chercher leurs enfants à l'école. Tout a l'air tranquille. Rien ne distingue cette partie de Bléville d'un autre quartier du Havre.
Et pourtant, les gens qui vivent ici ont peur. Le week-end dernier, huit voitures y ont été incendiées. « La situation s'est dégradée en trois ans, lâche avec une pointe de nostalgie Annick, qui habite ici depuis une dizaine d'années. Vous ne pouvez même pas imaginer. Dès le vendredi soir, c'est l'horreur. Il faut vivre ici pour s'en rendre compte ! Avant nous étions bien, maintenant c'est la zone. La petite place commerciale le long de la rue Albert-Samain a perdu son pharmacien, le marchand de journaux, la poissonnerie et la boulangerie, dégoûtés d'être perpétuellement agressés. Il n'y a plus que le coiffeur et le patron de la supérette qui s'accrochent. »
Au mois d'août, elle s'est fait voler son portable. Elle ressent le besoin de s'épancher pour évoquer l'insécurité ambiante, mais comme tous les riverains rencontrés, elle veut garder l'anonymat.
La situation s'est dégradée pour devenir explosive
« Ils ont tiré à la carabine dans les fenêtres de l'appartement des gens qui ont témoigné après les incendies de voitures. Moi, je n'ai rien vu, rien entendu, j'ai peur des représailles », ajoute Jeanine, une voisine.
Elle aussi a vu le quartier se dégrader. Chacun y va de son refrain, dénonçant les rodéos en voiture avec le klaxon enfoncé, les motos qui pétaradent toute la nuit. « Ils n'ont pas de casque, mais se cachent les visages sous des cagoules. Ils siphonnent les réservoirs pour récupérer de l'essence. »
La mairie est pointée du doigt par Jeanine : « Ils ont détruit des tours, alors il a bien fallu reloger les gens et voilà ce qu'on récupère. Quand ils sont en bande, on est obligé de baisser les yeux. On se fait insulter, bousculer. Parfois, ce sont de très jeunes gamins. »
La situation a obligé les bailleurs à prendre des dispositions en demandant le concours de maîtres-chiens. L'effet dissuasif est limité. L'un d'eux s'est déjà fait agresser. « Il en faudrait plus, mais tout ça coûte cher, ce sont les charges qui augmentent », consent une locataire. Le secteur est-il devenu une zone de non-droit ? Une poignée de délinquants suffit-elle à semer la terreur au nez et à la barbe des policiers ? « Ce serait faux de dire que la police ne passe pas. On voit bien des patrouilles, mais pas aux bonnes heures. Il se dit même dans le quartier qu'ils ne peuvent pas chasser les motos. Si le fuyard devait avoir un accident, cela pourrait déclencher des émeutes. »
L'insécurité favorise aussi l'exode. Magalie, son mari et ses deux jeunes enfants cherchent à partir. « J'ai peur le soir quand je rentre de travailler vers 21 heures. »
Le couple n'est pas un cas isolé. Mais la réputation sulfureuse qui colle au quartier dévalue le prix des appartements. Encore faut-il trouver un acquéreur.
ST. R.
« Il faut vivre ici pour se rendre compte de la situation... »
Le sous-préfet Gilles Lagarde réagit : « Nous allons organiser une réunion dans le quartier, sur invitation, avec des habitants, des commerçants, des associations, en présence notamment de la police, de représentants de la Ville et du conseil général. L'objectif est qu'elle se déroule d'ici quinze jours. » A l'hôtel de police, le commissaire central Michel Lavaud confirme qu'un lien est probable entre d'une part l'interpellation et la condamnation de l'auteur d'un rodéo, il y a quelques jours, d'autre part les incendies du week-end dernier et un jet de cocktail Molotov mercredi soir, dont l'auteur présumé a été placé hier sous contrôle judiciaire. Il rappelle aux habitants qu'« ils peuvent témoigner sous couvert d'anonymat. »
Article paru le : 5 septembre 2009
http://www.paris-normandie.fr/article/p ... one-%C2%BB