Le juge Gentil trouve 4 millions d’euros en liquide à Genève
L'enquête du juge Jean-Michel Gentil montre qu'un système de compensation très sophistiqué a permis à Liliane Bettencourt de rapatrier quatre millions d'euros en espèce de Suisse durant trois ans. Certaines de ces arrivées d'argent frais se sont déroulées peu avant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.
« La mèche est allumée ». Dans l’entourage du juge Jean-Michel Gentil, en charge du dossier Bettencourt à Bordeaux, on se félicite du retour, voici deux jours, de la Commission rogatoire internationale, qui portait sur la dizaine de comptes que possédait Liliane Bettencourt en Suisse. En effet, selon les informations recueillies par « Marianne », l’enquête genevoise montre qu’un système très sophistiqué de compensation entre la France et la Suisse a permis à l’héritière du groupe L’Oréal de rapatrier pas moins de quatre millions d’euros en espèces durant les années 2007, 2008 et 2009.
Plus intéressant encore pour l’instruction menée par les juges bordelais, des retours en espèces très importants ont été acheminés depuis la Suisse vers Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune d’alors, Patrice de Maistre, durant le premier semestre de 2007, juste avant l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Des transferts illicites qui ont eu lieu à deux reprises et, à chaque fois, pour un montant de 400.000 euros.
La première arrivée d’argent liquide a eu lieu début février, grâce à des hommes de paille qui devraient être très prochainement entendus. Février 2007, c’est justement la période où Eric Woerth, alors trésorier de la campagne du candidat Sarkozy, était reçu deux fois par le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, et par la milliardaire.
Ces fonds venus de l’étranger s’ajoutaient aux retraits en liquide que l’ex comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, effectuait régulièrement sur les comptes que la famille possédait en France. A l’été 2010, « Marianne » avait publié en exclusivité les fameux « carnets Bettencourt », ces cahiers de caisse sur lesquels Claire Thibout notait scrupuleusement chaque retrait d'argent liquide (environ «50.000 euros par semaine»). Un carnet de bord qu'elle a tenu au jour le jour, avec une incroyable minutie, de la date de son embauche en mai 1995 jusqu'à celle de son licenciement en novembre 2008.
Marianne s’était en effet procuré l'un de ces cahiers, le plus instructif sans doute, celui de l'année 2007. Et plus précisément les pages qui concernent les mois de janvier à avril, c'est-à-dire les quatre mois qui précédèrent l'élection présidentielle et la victoire de Nicolas Sarkozy.
Ces carnets de caisse, qui sont depuis mercredi dernier entre les mains des policiers de la Brigade financière et de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), comportent, mois par mois et de façon manuscrite, la date de chacune des opérations réalisées en liquide, la désignation de l’opération et, bien sûr, les recettes (l’argent liquide tiré à la banque) et les dépenses. Avec, à la fin de chaque mois, une balance des opérations.
Ces retraits en liquide étaient non seulement fréquents, mais très élevés : 45.000 euros le 9 janvier 2007, 50.000 euros le 14 janvier, 50.000 euros le 25 janvier, 50.000 euros le 2 février, 50.000 euros le 12 février, 45.000 euros le 20 février, 50.000 euros le 26 mars, 48.000 euros le 2 avril… Au total sur quatre mois, de janvier à avril 2007, pas moins de 388.000 euros sortis en liquide !
L’ex comptable avait également révélé aux enquêteurs que Patrice de Maistre, en prévision d’un rendez vous entre Eric Woerth avec Liliane Bettencourt, qu’elle datait de mars 2007, lui avait réclamé une enveloppe de 150.000 euros en liquide. Dans l’impossibilité de fournir une telle somme, la comptable s’était contentée de confier seulement 50.000 euros à sa patronne qui s’était chargée de la remettre en mains propres à son gestionnaire de la fortune. A la date du 26 mars 2007, elle avait bien noté, dans la colonne «recettes», un retrait d'argent liquide de 50.000 euros, désigné «BNP». Les policiers ont d'ailleurs retrouvé, à l'agence BNP-Paribas de l'avenue de La Grande-Armée à Neuilly, la trace de ce retrait d'argent.
Mais jusqu’au retour de la Commission rogatoire de Suisse, le juge Jean-Michel Gentil avait quelques difficultés à répondre à certaines interrogations. Comment, in fine, le trésorier de l’UMP avait pu recevoir la somme de 150 000 euros? Les enquêtes de « Marianne » avaient montré déjà que les sommes notées dans ces carnets ne constituaient qu’une partie de l’argent tiré en liquide durant cette période. Notre journal avait pu se procurer la copie d’un chèque de 100 000 euros tiré à la banque Dexia afin de permettre des retraits en espèces, toujours via Claire Thibout. A qui ces 100.000 euros étaient-ils destinés ? Les enquêteurs n’avaient pas, pour l’instant, trouvé la réponse à cette question. Les retraits ne correspondaient pas aux dates où Eric Woerth rendait visite à Liliane Bettencourt et à Patrice de Maistre.
D’où la piste genevoise suivie par le juge : d’autres sources de liquide pouvaient avoir été sollicitées, notamment depuis la Suisse, où les Bettencourt engrangeaient depuis le début des années 8O, les dividendes des actions qu’ils possédaient dans Nestlé. D’après les enquêteurs, jusqu’à 500 millions d’euros ont pu être déposés sur ces comptes suisses ; une partie de ces fonds ont été acheminés en France.
Révélé également par la Commission Rogatoire rentrée de Suisse en début de semaine, le second apport en espèces, d’un montant également de 400.000 euros, s’est produit entre les deux tours de l’élection présidentielle. C’est l’époque, apprend-on dans le dossier, où l’intime de la riche héritière, le photographe François Marie Banier, notait dans son journal intime que Liliane subissait de nouvelles pressions de la part de Nicolas Sarkozy pour qu’elle l’aide dans sa campagne. Interrogé par les enquêteurs durant l’été 2010, Banier avait alors répondu qu’il s’agissait « d’élucubrations ».
Apparemment, le juge et les enquêteurs prennent désormais les écrits du photographe très au sérieux