Cette affaire d’abattage sans étourdissement préalable remonte en partie à une campagne d’information contre ces pratiques historiques organisée il y a quelques mois par un regroupement de sociétés de protection animale (Fondation aux animaux d’abattoirs, fondation Brigitte Bardot…) autant par principe pour s’opposer à des douleurs sans justification autre que religieuses que pour faire face à l’extension accélérée actuelle de ce type d’abattage au nom de la rentabilité. Elle devait être affichée sur les panneaux publicitaires urbains et dans les divers médias sur toute la France. Pour ma part j’en ai placardé un exemplaire dans ma salle de consultation pendant plusieurs mois.
Le gouvernement actuel avait alors interdit cette campagne d’information (la période électorale de pêche aux voix n’était pas commencée….) sur la voie publique pour ne pas ‘blesser les sensibilités religieuses’.
Comme toujours derrière la façade nauséabonde et racoleuse médiaticopolitique d’autres enjeux de société plus profonds se dissimulent.
Il semblerait que ces pratiques ‘ancestrales’ considérées de nos jours comme barbares par la majorité des concitoyens aient une origine très utilitaire. Les réfrigérateurs n’existant pas au Moyen-âge, la pratique de la saignée sur le vivant permettait de conserver les viandes en vue de leur consommation ultérieure. Elle fut ensuite ritualisée. Rien que de très compréhensible et à ma connaissance sans aucune référence écrite dans les textes religieux.
Remettre en cause ces rites ne relève aucunement d’une attaque contre les religions en tout cas de ma part, laïque convaincu mais imprégné d’éducation catholique. Je tiens à le dire et à le redire avant d’avancer dans le débat. Dans une société laïque les croyances concernent uniquement la sphère privée même si leur empreinte historique agit toujours, et c’est heureux, sur notre société (calendrier, fêtes, corpus philosophique national…). Les Lumières n’existeraient pas sans l’église chrétienne, le concept ‘d’homme fils de Dieu’ et le culte du ‘prochain’. Si les convictions de tout ordre (religieuses, philosophiques, politiques) sont hors de portée de la critique civile, leurs conséquences pratiques comme les rituels sacrificiels et mutilations diverses ne peuvent pas s’opposer aux lois et aux idéaux de la société d’accueil sans provoquer de réactions hostiles.
En vérité ce débat de société porte sur deux aspects fondamentaux de l’unique idéologie contemporaine (hors le profit) survivante du passé et que contredisent les actes remis en cause, celle des Droits du Vivant. Elle a concerné d’abord et avant tout l’être humain avant de concerner partiellement depuis cinquante ans les animaux domestiques proportionnellement à l’intensité du transfert affectif.
Toute l’Histoire humaine est une longue marche vers la glorification de l’animal humain. L’humanité a progressivement substitué aux valeurs de la Vie (organismes sans intérêt autre que transmission du génôme, douleur comme signe d’alerte et de défense des organismes lésés, intégration à la biosphère…) un monde autonome artificiel hypersécurisé et autocentré pour des êtres humains toujours plus individualisés, personnifiés, valorisés, sacralisés. Cette philosophie a acquis ses lettres de noblesse avec la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen avant de basculer dans l’individualisme extrême de la société contemporaine. Cette ontogénèse de l’Histoire s’inscrit dans la continuité de la phylogénèse des Vertébrés, j’espère y revenir longuement par ailleurs un jour.
Au cours de ce renversement progressif de paradigme toute atteinte physique, toute souffrance corporelle a été sans cesse un peu plus rejetée. De l’enterrement des morts à la Sécurité sociale et aux exploits de la médecine moderne en passant par l’arrêt des tortures puis l’abolition de la peine de mort, ce ne fut qu’une longue marche vers la protection, la sécurisation et la défense des personnes (sauf des embryons lors d’avortement au nom de la liberté de baiser sans contrainte).
La défense des animaux, largement entérinée par la Déclaration universelle des droits de l’animal (UNESCO 1978), leur respect et le refus de toute souffrance inutile sont des valeurs contemporaines bien établies par l’Occident, principale civilisation porteuse de cette évolution. Elle résulte d’une extension des Droits de l’Homme, de cette philosophie du Vivant qui donne à chaque organisme (proportionnellement à sa proximité avec l’espèce humaine dans l’arbre de l’Evolution) un statut d’individu malgré la pression économique sous-jacente. Toute agression, toute violence inutile est un crime contre nature (un prochain reportage sur Arte le 27 / 03 doit même évoquer le rejet de toute consommation animale). Dans cette montée en puissance idéologique et historique du respect vis-à-vis de tout être vivant, l’abattage rituel à visée consommatoire se situe de nos jours comme une invraisemblance condamnable, un crime contre le Vivant. Sacrifice et sacrilège sont devenus synonymes du non respect de l’animal individualisé donc de la Vie.
Imagine t’on un instant des croyants hindous sacrifier des animaux sur notre territoire ou des adeptes de la religion inca aujourd’hui disparue pratiquer des sacrifices humains en arguant de leurs traditions ?
Sans aucun doute, ce rejet social concernera prochainement un autre rituel pourtant historiquement bien implanté chez nous.
On peut en effet s’attendre dans un avenir plus ou moins proche à l’apparition d’un même opprobre public concernant la circoncision à caractère religieux juive ou musulmane, à vif et sur des enfants par définition incapables d’un consentement éclairé préalable. De tels reproches existent d’ailleurs depuis longtemps sans tapage médiatique.
Encore une fois ces réactions actuelles, mais biologiquement et historiquement programmées, prévisibles, ne relèvent pas d’une critique de fond des religions mais de la forme, de l’expression de la foi.
Cette opposition entre philosophie contemporaine de l’existence et pratiques religieuses, née de la sécularisation de la société avec remplacement de Dieu par l’individu-roi, peut cependant trouver un terrain de compromis satisfaisant en recourant aux capacités intellectuelles de notre espèce.
L’Homme est la seule espèce animale capable d’atteindre le niveau cognitif du symbolisme et de l’utiliser dans sa représentation du réel et des concepts attenants (la conceptualisation existe par contre chez de nombreux Mammifères).
L’église catholique l’a bien compris depuis des siècles dans ses rites. A la messe l’offertoire évoque le sacrifice du Christ au travers de l’hostie, du pain et du vin. De même l’entrée dans la vie et la communauté écclésiale, la purification par l’Esprit-Saint sont symbolisés par l’eau versée sur le front des baptisés.
Pour respecter la philosophie sociétale contemporaine de la Vie, les autres religions doivent s’adapter, abandonner tout rituel sacrificiel générateur de douleur et de mutilation au profit d’un symbolisme alliant transcendance et modernité.
Notre société doit donc logiquement interdire toutes ces formes d’atteinte physique à l’individu animal et à la personne humaine sauf à se renier elle-même. La circoncision doit en outre être réservée aux adultes consentants.
Chacun est libre de rester en France ou d’en partir si les lois ne le satisfont pas.
Vouloir appartenir à une société implique d’en accepter les règles et les choix idéologiques avant de faire ses propres choix de vie. Cette volonté d’intégration a largement disparue de nos jours avec la mondialisation et la désagrégation volontaire des identités nationales.
Car ce débat met en jeu un deuxième aspect de la sacralisation des individus, réservé aux humains cette fois-ci, celui de la liberté de penser d’agir, du droit de l’hommisme au sens intellectuel et comportemental.
Dans la continuité de la prise de pouvoir des individus-citoyens, la revendication libertaire est devenue toujours un peu plus accentuée. La démocratie en fut le premier échelon chez les peuples primitifs et à Athènes. D’abord intégrée au service de l’intérêt de la communauté - la polis – elle a progressivement renversé à son tour cet équilibre jusqu’à la revendication libertaire et asociale contemporaine, le rejet systématisé de toute contrainte extérieure à l’individu.
Il s’agit d’un mouvement de fond majeur de la société contemporaine exacerbé par la mondialisation : le rejet des citoyens et des communautés de toute soumission à des normes sociales (compensée par une prolifération règlementaire), la disparition progressive de la notion d’intégration des citoyens dans une nation, communauté géographique, idéologique et historique porteuse d’une identité et d’une culture monomorphes unitaires, son remplacement inéluctable par une société planétaire purement règlementaire, communautariste, polyethnique et polyculturelle au nom de la suprématie de l’individu citoyen. Le rejet de 3000 ans d’histoire mais aussi la guerre programmée des ego.
Dans le conflit de l’abattage rituel ce second aspect du problème est fondamental et emblématique de la société moderne occidentale.
Si la religion juive et ses adeptes sont partie intégrante de notre société donc plus sujets à l’adaptation, la communauté arabo-musulmane s’est implantée en Europe récemment avec rites, croyances et traditions en profitant de l’idéologie libertaire et communautariste ambiante. C’est peu de dire que son implantation relève plus de l’esprit de colonisation que du désir d’intégration aux normes des pays d’accueil. Sa soumission à l’idéologie des droits de l’Homme (de la femme) et de l’animal risque donc d’être beaucoup plus problématique.
Cet aspect du problème s’ajoute donc à l’incompréhension des autorités religieuses face à la remise en cause de leurs traditions. Il s’agit pour elles et les croyants d’accepter d’eux-mêmes le respect des autres (en l’occurrence les animaux) donc de brider volontairement leur chère liberté si sacralisée par notre société.
Au stade actuel la société française leur demande de céder avec intelligence plutôt que de recourir à la contrainte d’une règlementation officielle selon le système en vigueur utilisé en permanence pour équilibrer les domaines de liberté des uns et des autres.
La liberté d’agir contre le droit de mourir sans souffrir. Il n’y a pas de liberté sans contrainte…