C'était en avril dernier. Abdullah*, 61 ans, rentrait du travail. Sur la route de son village, à quelques kilomètres de Deraa (sud de la Syrie), des militaires lui ordonnent de s'arrêter. « Ils m'ont embarqué, sans rien me dire », se souvient-il. S'ensuivent des coups, « sur tout le corps ». Après quinze jours dans une prison militaire, il est envoyé à l'hôpital. « Ils m'ont dit que j'étais malade, assure-t-il. Alors, j'ai demandé au médecin. Il a confirmé qu'il fallait m'opérer. Il m'a fait une piqûre. J'ai perdu conscience. Lorsque je me suis réveillé, j'ai senti quelque chose sur mon flanc gauche… C'était un pansement, raconte Abdullah. Une fois sorti, je suis allé dans un hôpital clandestin, chez un ami docteur. Il m'a dit qu'il n'y avait plus qu'un seul rein dans mon corps. » Sa main tremble, son teint est jaune, sa voix chevrotante et son ventre ballonné.
A Ramtha, dans le nord de la Jordanie, où il est réfugié depuis dix jours dans un camp protégé par des militaires, Abdullah extériorise difficilement sa rancœur. Il y a certes, de l'« injustice », parfois de la « peur », mais surtout de la « haine ». L'homme a fui la Syrie avec son fils et ses cinq petits-enfants, se cachant derrière des arbres ou des rochers, pour éviter d'être repéré par les militaires fidèles à Bachar al-Assad.
« En apprenant qu'on m'avait enlevé un organe sans raison, ma première réaction a été de partir. Mais mon fils m'en a empêché. On s'est décidé il y a dix jours, lorsqu'on a appris que les militaires avaient pour plan de tuer les enfants. » Fausses amputations, tortures sur les blessés, infections volontairement provoquées… Les témoignages de réfugiés qui ont subi ce genre de sévices se multiplient à la frontière syrienne. « Parfois, des gens ont été amputés, alors qu'ils n'ont reçu qu'une balle dans la main ou dans le pied. Ce n'est pas rare de réparer des opérations chirurgicales », alerte le Dr Al-Khwaldeh, neurochirurgien et membre de l'Union des médecins arabes. Le régime syrien est même accusé de « torturer les morts ». Et Abdullah de conclure : « Un gars qui avait déserté l'armée a été retrouvé. Il a été exécuté. Les soldats de Bachar, pour effrayer les gens, ont coupé sa tête et l'ont mise tout en haut d'un char. Ensuite, ils ont défilé en ville. »William Molinié